COVID-19 : les fumeurs mieux protégés ?

Par seriniti , le 22 juin 2021 - 14 minutes de lecture
COVID-19 : les fumeurs, mieux protégés ?

Compte tenu de l’actualité, il semble intéressant de faire un rappel des effets du tabac et de la nicotine sur l’organisme et de s’intéresser à ce qui ressort actuellement des premières études sur les patients hospitalisés pour des cas sérieux de COVID-19. Cet article, proposé par un médecin ORL et tabacologue, reprend ce que l’on sait actuellement de façon formelle ainsi que les hypothèses formulées à la suite des premières constatations des effets du COVID-19 sur les patients fumeurs et non-fumeurs.

Rappelons, dans un premier temps, les effets du tabac, c’est-à-dire de la fumée de cigarette sur l’organisme.
On distinguera des effets immédiats et des effets tardifs.

 

La fumée de cigarette

Due à la combustion du tabac, la fumée de cigarette est constituée de plus de 4 000 substances contenues dans sa phase gazeuse et particulaire, pouvant pénétrer dans l’arbre respiratoire et participer aux échanges alvéolaires. Parmi ces 4 000 substances, plusieurs sont cancérigènes. Certaines vont nous intéresser au tout premier chef :

  • Le monoxyde de carbone (CO)

Présent pour 3 à 6% dans la phase gazeuse rejetée ;

  • Les goudrons

Terme général qui inclue la totalité du condensat d’une cigarette fumée moins l’eau et la nicotine. Parmi eux, on retrouve des substances irritantes telles que :

  • L’acroléine, les aldéhydes et les nitrosamides, qui induisent des lésions précancéreuses et ont une action pro carcinogène ;
  • Des métaux lourds tels que le mercure, le plomb et le polonium. Ce dernier, metalloïde radioactif, mérite une attention spéciale. On a évoqué par le passé, l’empoisonnement du leader palestinien Yasser Arafat par le polonium. Plus récemment et de façon certaine, on attribue au Polonium 210, émetteur de radiations alpha, la mort du transfuge russe Alexandre Litvinenko, empoisonné par des quantités infimes de polonium introduites dans un thé et mort 3 semaines plus tard. Ceci montre à quel point ces produits sont anodins !
  • La nicotine

Alcaloïde principal du tabac dont le pourcentage diminue fortement par pyrolyse lors de la combustion du tabac. La nicotine est synthétisée dans les racines de la plante de tabac et véhiculée dans les feuilles selon un gradient de concentration décroissant. La nicotine est extrêmement toxique pour l’homme et même mortelle pour des doses élevées de l’ordre de 80 mg. Aucune consommation de cigarettes ne peut parvenir à une telle concentration, des malaises arriveraient bien avant une telle dose inhalée.

 

Effets de la fumée de cigarette sur l’organisme

Phénomènes aigus

10 minutes après la première bouffée, augmentation :

  • De la fréquence cardiaque,
  • De la pression artérielle, par stimulation du système sympathique sur le cœur.

Cet effet est propre à la nicotine inhalée : l’application de trois timbres de nicotine les plus dosés ne réalise pas cet effet.

  • Au niveau des vaisseaux périphériques : spasme vasculaire, également dû à la stimulation du système sympathique par la nicotine inhalée.
  • Au niveau cérébral : la nicotine se fixe en quelques secondes sur les récepteurs nicotiniques, situés sur les corps cellulaires des neurones que l’on nomme dopaminergiques, libérant la dopamine (l’hormone du plaisir), intervenant dans l’humeur, l’hédonisme, l’éveil, l’attention, la mémoire.
  • Au niveau pulmonaireLa bouffée de cigarette amène, dans le courant aérien, de 3 à 6% de monoxyde de carbone (CO) qui prend la place de l’oxygène sur 2 à 15% de l’hémoglobine des globules rouges (carboxyhémoglobine). Conséquence immédiate : hypoxie tissulaire, c’est à dire une baisse d’apport en oxygène au niveau des tissus et une ventilation moins efficace.

 

Phénomènes chroniques

  • Sur les vaisseaux : la carboxyhémoglobine entraine rapidement une augmentation :
    • Des globules rouges (polyglobulie),
    • Des plaquettes (hyperplaquettose),
    • Des globules blancs (hyperleucocytose),
    • Des Low Density Lipoprotéines (LDL, mauvais cholestérol) avec une baisse du bon cholestérol (HDL : High Density Lipoproteines). Cela contribue à augmenter la viscosité sanguine influant sur le risque de thromboses.

La média (couche moyenne de la paroi artérielle) contient les fibres musculaires lisses permettant le spasme vasculaire (vasoconstriction). Cette paroi est demandeuse de LDL. Ces LDL captées et non utilisées vont être oxydées et reconnues comme matériel exogène (étranger).

Le monocyte (globule blanc chargé de détruire virus et bactéries) se transforme en macrophage (monocyte qui sort du sang et passe dans les tissus) et va phagocyter (manger) ces LDL. Il se transforme alors en cellule spumeuse, produisant des effets délétères (destruction des cellules endothéliales). La couche musculaire de la média se transforme en couche fibroblastique qui n’est plus contractile et devient sécrétoire, initiant la plaque d’athérome, épaississant la paroi artérielle, la rétrécissant, avec, à terme, possibilité de thrombus sur plaque d’athérome et parfois sténose de la lumière vasculaire.

  • Sur les bronches : sous l’effet du tabac, la muqueuse respiratoire se transforme en muqueuse sécrétante, avec des cellules à mucus qui s’empilent en plusieurs couches, réalisant une métaplasie cellulaire (transformation des cellules) ce qui diminue la qualité des échanges gazeux. Au bout d’une dizaine d’années, atteinte des petites bronches, dont la réduction de diamètre (liée à la métaplasie) va créer une perte de souffle et un emphysème centro-lobulaire, les alvéoles disparaissant, laissant la place à des sacs inefficaces pour les échanges gazeux. Ces lésions sont le fait des goudrons libérés lors de la combustion du tabac.

En conclusion

La nicotine semble peu toxique, surtout chez le fumeur. Elle joue un rôle ponctuel sur la fréquence cardiaque, la pression artérielle et un rôle vasoconstricteur sur les artérioles distales de peu de conséquence du fait d’une durée d’action très courte. Elle se fixe en quelques secondes sur les récepteurs nicotiniques centraux, libérant la dopamine et donnant une sensation de bien-être.

Le monoxyde de carbone (CO) est doublement néfaste :

  • Par sa fixation stable sur l’hémoglobine occasionnant une hypoxie tissulaire ;
  • Par les lésions chroniques réalisées sur les parois artérielles (1ère cause d’athéromatose, loin devant les dyslipidémies), majorant aussi l’hypoxie tissulaire.

Les goudrons, par leurs effets sur les bronches distales (bronchioles terminales) avec une métaplasie cellulaire, augmentant le risque de cancer bronchique et transformant les alvéoles pulmonaires en sacs inefficaces pour tout échange ventilatoire (emphysème centro-lobulaire).

 

COVID-19 et tabac

On a évoqué récemment l’effet bénéfique du tabac sur la sévérité du COVID-19[1].
Une étude française[2] semble confirmer cette hypothèse. Les auteurs ont comparé le taux de patients COVID-19 fumeurs actifs hospitalisés (4,4%, N=343) et non hospitalisés (5,3%, N=139) avec la population générale (25% de fumeurs actifs) et concluent que les non-fumeurs ont une probabilité plus importante de développer des formes symptomatiques ou graves de COVID-19. Le rôle protecteur de la nicotine est évoqué, poussant à envisager, pour l’équipe, la possibilité d’un essai thérapeutique avec cette molécule.

Le Pr J. Pierre Changeux, de l’Institut Pasteur et du Collège de France, évoque, dans ce mécanisme, le blocage d’un site situé dans le système nerveux central, site sur lequel se fixe, en quelques secondes, la nicotine circulant dans le sang. Ces récepteurs nicotiniques seraient donc « occupés » par la nicotine, bloquant ainsi la pénétration du virus sur ces mêmes sites (le coronavirus ayant également un tropisme neurotrope). A partir de ces hypothèses, chercheurs et médecins vont débuter une étude clinique, à l’aide de patchs de nicotine, qui confirmera ou infirmera cette théorie.

 

On sait cependant depuis longtemps en tabacologie qu’un fumeur recherche un shoot nicotinique déclenché spécifiquement par l’inhalation de la nicotine (phase particulaire de la fumée) qui, via les alvéoles pulmonaires, va se fixer en quelques secondes sur les récepteurs centraux nicotiniques. Aucune autre délivrance de nicotine ne réalise ce fameux shoot indispensable au fumeur, shoot qui sature en quelques secondes les récepteurs nicotiniques pour une trentaine de minutes.

 

Pharmacocinétique des substituts nicotiniques, Tabacologie et sevrage tabagiqueJ. Perriot

 

Au-delà de ce délai, on se retrouve sous la courbe de nicotinémie et le fumeur « addict » reprend une cigarette pour « recharger » ses récepteurs, car de nouveau en manque. La cigarette n’est pas venue par hasard et si une infusion de tabac réalisait les mêmes effets que la fumée de cigarette, on le saurait et les cigarettiers aussi !

Il n’est donc pas certain que le patch de nicotine soit le meilleur outil que l’on puisse proposer pour l’étude ! En effet, avec des patchs, les récepteurs nicotiniques vont mettre beaucoup de temps à être saturés et cette saturation ne sera que partielle. Les conditions d’étude risquent de n’être en aucun cas comparables avec les effets constatés chez les fumeurs, les vrais ! L’interprétation risque en conséquence d’être biaisée.

 

D’autres mécanismes pour cet effet protecteur du tabac ou de la nicotine ?

Dans l’étude[3] précédemment évoquée (lire l’article), l’auteur avait pu colliger, grâce aux centres de médecine hyperbare qui avaient participé à l’étude, 94 dossiers de plongeurs hospitalisés ayant présenté des accidents de décompression (fumeurs et non-fumeurs confondus). La conclusion, étonnante, fut contraire au résultat attendu.

 

Schématiquement :

  • 23% des fumeurs et anciens fumeurs présentaient des séquelles contre 70% pour les non-fumeurs ;
  • Pour ceux qui récupéraient sans séquelle, fumeurs et anciens fumeurs récupéraient en 48 heures ; les non-fumeurs récupérant en 7 jours en moyenne.

Le nombre relativement faible de cas étudiés laissait penser qu’il existait un biais d’interprétation et que ce résultat ne pouvait refléter la réalité. Cependant, un rôle protecteur du tabac en plongée devait être évoqué.

Autres gaz libérés par la fumée de cigarette :
L’air respiré est composé sensiblement de 80% d’azote (sous forme de dioxyde d’azote NO2) et de 20% d’oxygène. Il existe des traces de monoxyde d’azote que nous ignorerons.
Tout autre est la composition de la fumée de cigarette inhalée. En ne considérant que la phase gazeuse, on relève les pourcentages suivants :

  • 60% d’azote, essentiellement le monoxyde d’azote (NO),
  • 12à 15% d’oxygène (O2),
  • 12 à 15% de dioxyde de carbone (CO2),
  • 3 à 6% de monoxyde de carbone (CO),
  • Composants organiques volatils (acide cyanhydrique, cétone, aldéhydes, ammoniac).

Seul le monoxyde d’azote nous intéresse ici. Il s’agit :

  • Du monoxyde d’azote endogène, synthétisé par la paroi vasculaire, l’endothélium, lors des à-coups tensionnels. Son effet sur les parois artérielles est négligeable. En effet, de durée de vie très courte, il diffuse vers la paroi musculaire, réalisant théoriquement une dilatation des petits vaisseaux, contrebalancée par la destruction partielle des cellules endothéliales des vaisseaux par le CO inhalé.
  • Du monoxyde d’azote exogène, apporté par la cigarette (fumée). Il diffuse dans l’organisme et les cellules. Schématiquement, il a des effets favorables, dont :
    • Une relaxation des fibres vasculaires lisses, avec vasodilatation à divers niveaux notamment cérébraux, contrebalançant les dépôts d’athérome liés au CO ;
    • Une broncho dilatation (dilatation des petites bronches) au niveau du poumon (contrebalançant en partie les effets délétères liés aussi au goudron), dont on peut supposer un rôle favorable sur le poumon du COVID-19.

Bienfaits de la nicotine

La question méritait d’être posée.

  • La nicotine posséderait un effet protecteur relatif vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson. Des études médicales sur le sujet seraient certainement très intéressantes et permettraient d’infirmer ou confirmer cette théorie ; 
  • L’usage important du tabac chez les schizophrènes vient de l’effet atténuateur de la nicotine sur les médicaments prescrits, créant un syndrome parkinsonien ; 
  • Effet bénéfique prouvé pour le traitement du blépharospasme (contraction involontaire de la paupière) et du syndrome de Gil de la Tourette (tics involontaires, brefs et intermittents) ; 
  • La nicotine stimule le transit intestinal ; 
  • La colite ulcéreuse (inflammation chronique du colon) répond favorablement au traitement par la nicotine sous forme de gommes ; 
  • Un cas de pyodermite gangréneuse (maladie cutanée infectieuse) a guéri par de la nicotine sous forme de gomme et la maladie est réapparue à l’arrêt du traitement ; 
  • Rappelons également les fameuses migraines de Catherine de Médicis, améliorées par de la poudre de tabac inhalée, où il faut certainement y voir l’effet vasoconstricteur de la nicotine sur les vaisseaux, décongestionnant peut-être une muqueuse oedématiée (rhinite/ sinusite).

Dans tous les cas, on imagine l’intérêt que pourrait présenter une nicotine sous forme micronisée délivrée par un gaz pulseur.

 

Conclusion

En attendant d’hypothétiques résultats sur l’effet bénéfique de la nicotine sur le COVID-19, rappelons certaines vérités.

  • Le tabac tue chaque année en France l’équivalent de la ville d’Issy les Moulineaux ;
  • Le crash d’un avion de 380 places tous les deux jours. Quelle compagnie d’aviation l’accepterait ?
  • 50% des fumeurs mourront précocement du fait de leur tabagisme ;
  • 30% des cancers sont liés aux méfaits du tabac ;
  • 50% des cancers de vessie sont liés au tabac ;
  • La quasi-totalité des cancers bronchiques sont dus au tabac et c’est le cancer le plus fréquent chez l’homme… L’emphysème centro lobulaire, complication CONSTANTE du tabac au bout de plusieurs années, conduira à une insuffisance respiratoire progressive et la mort, tout comme la broncho-pneumopathie chronique obstructive, évolutive quoi qu’on fasse, une fois commencée;
  • Les cancers des voies digestives et des voies ORL sont favorisés par le tabac.

Donc le tabac n’est certainement pas la solution pour diminuer les risques de contracter le COVID-19. La nicotine en patch quant à elle, n’a certainement pas fait la preuve d’une quelconque efficacité, l’avenir nous le dira.

 


Sources et références  :

[1] FAQ numéro 29 – Pr Adnet

[2] Qeios en cours de reviewing – 20 avril 2020

[3] Plongée et Tabac, une surprenante conclusion – Mémoire Tabacologie 2006 – Dr Jean-Jacques HUBINOIS, médecin ORL et tabacologue.

Manuel à l’usage des fumeurs invétérés, Dr Jean-Jacques HUBINOIS

La cellule endothéliale et sa fonction de régulation, Marc THIRIET, Pharmacorama

Effets de l’inhibition chronique de la synthèse du NO sur la pression artérielle, THERRIEN Frédérick, Faculté de Médecine – Université de Laval

Nitric oxide and penile erection : Is erectile dysfunction another manifestation of vascular disease ? Sullivan M.E et al. Cardiovasc.Res 1999, Aug.15; 43(3) : 658-65

Biologie et physiologie moléculaire du vaisseau – INSERM / UMR-S541, Directeur Alain Tedgui

 

 



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